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LES ARTS AU PRISME DU GENRE : LA VALEUR EN QUESTION

L'Harmattan | « Cahiers du Genre »

2007/2 n° 43 | pages 5 à 16

ISSN 1298-6046

ISBN 9782296042056

Introduction

En 1915, Kasimir Malevitch peignait Carré noir sur fond blanc, étape décisive de sa « démarche fondamentalement non objective » (Roque 2003, p. 176), avant d’atteindre le Carré blanc sur fond blanc en 1918. Par cette réduction maximale de la forme et de la couleur, l’artiste russe a été porté par l’histoire comme l’un des pères de l’art moderne. Près de quatre-vingt-dix ans plus tard, dans un autre registre, une jeune artiste colombienne née en 1974, Liliana Angulo Cortés, reprend, dans une série de photographies intitulée Negra Menta, dont la couverture de ce numéro reproduit un extrait, ce réductionnisme de la couleur que l’oeil des historiens de l’art ne peut manquer. L’image montre, sur un fond blanc, une jeune femme noire vêtue d’un tutu blanc portant une tête de mannequin blanche à la hauteur de son visage. Negra Menta est une expression raciste qui signifie ‘bande de nègres’, parfois employée par les Afro-Colombiens pour se désigner eux-mêmes. La série s’inspire aussi d’un personnage dessiné de l’hebdomadaire El Espectador, la Negra Nieves (‘Noire Neige’ par opposition à Blanca Nieves, Blanche-Neige), une employée de maison qui commente l’actualité 1. La Negra Nieves, dont l’auteure, Consuelo Lago, est une femme blanche de la bourgeoisie, récapitule l’ensemble des stéréotypes racialisés de la femme noire au corps vif, gracieuxet sexualisé, rusée et débrouillarde, mais à l’esprit ingénu, qui s’exprime « sans avoir à y penser ». La jeune femme photographiée ici ressemble à Nieves physiquement mais aussi par son histoire ; il s’agit d’une jeune migrante rurale devenue employée de maison chez Liliana Angulo Cortés qui en a fait le modèle de cette série 2.

1 La Negra Nieves contient cependant un sens difficile à traduire car la connotation familière de Negra n’a pas d’équivalent en français.

2 Lorena Palacios — la modèle — fut envoyée par sa famille depuis Tumaco, une petite ville de la côte pacifique pour ‘aider’ (travailler) chez Liliana Angulo Cortés. C’est donc aussi le rapport employée-employeuse qui est ici déplacé. Le travail de Liliana Angulo Cortés revisite et réagence, dans les registres réitératifs contemporains de l’autoreprésentation, les imaginaires de la négritude en relation avec les emplois domestiques. Dans une autre série intitulée Negro Utopico, l’artiste s’est représentée elle-même dans des scènes domestiques (le repassage, l’utilisation du mixeur, etc.). Coiffé d’une perruque afro disproportionnée, le visage peint comme un clown, vêtu d’une cravate et d’un costume pantalon dans le même imprimé de couleur vive que le papier peint et la toile cirée, le personnage Negro Utopico affiche une excentricité qui lui confère une hypervisibilité, mais la confusion entre le corps et le décor rappelle que celle-ci est le renversement de l’invisibilité des employées domestiques et plus largement des Afro-Colombiens.

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