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Revue n°3

Territoires

Automne - Hiver 2017

Edito 

Le territoire est une poupée gigogne : il a plusieurs échelles, du coin de la rue au monde globalisé. Il peut être matériel ou immatériel. Il est parfois circonscrit, parfois étendu. Il peut être imperméable et autarcique, poreux et interdépendant. Un territoire compte autant de descriptions qu’il y a de points de vue. Ce qui le caractérise est d’être habité et revendiqué, il est défini par ceux qui déclarent en être ou cherchent à en être.

 

Les territoires incarnent des réalités sociales en plus d’être des ressources physiques. Toucher au territoire c’est donc toucher à la fois aux valeurs et au foyer. Même le nomade mesure le champ de ses déplacements. Même le nomade dresse sa tente et la soigne.

 

J’habite donc je suis. Les hommes donnent à leur territoire une importance symbolique qui confine à l’adoration. On tue et on se fait tuer pour son pays parce que l’existence de la communauté, de ses normes et de son avenir, est assimilée au lieu qui l’a vue naître et s’affirmer. Seule l’utopie échappe au territoire, car elle est partout en puissance et nulle part en réalité, c’est un but à poursuivre plutôt qu’un paradis à trouver. Le territoire fait au contraire partie de la réalité quotidienne tangible, avec ses repères esthétiques, ses règles communes, ses faisceaux de rencontres et d’émotions.

 

Faire sien un territoire, c’est répondre au besoin de se sentir appartenir à un lieu. Cet ancrage n’est pas immuable. Il n’est pas non plus unique ou pur.

Chacun est le produit en mouvement d’histoires, de sources culturelles et religieuses, et des lieux dans lesquels il vit ou il a vécu.

 

L’appartenance territoriale peut se passer de filiations sociales ou ethniques : nous vivons ensemble, constamment. Les séparatismes se vident de leur substance quand cette réalité est revendiquée et non plus subie. Il faut abolir les obstacles physiques et politiques, ouvrir les frontières jusque dans les esprits. Pas pour diluer les territoires dans un hypothétique vaste monde utopique, mais pour reconnaître le vaste monde réel comme un espace de circulation et de rencontres dans lequel les territoires se juxtaposent et se chevauchent, où ils se parcourent, se traversent. Dans ces territoires il ne doit être interdit ni de s’installer, ni de repartir.

 

Faire sien un territoire, c’est aussi définir les normes qui s’y appliquent. Construire en commun est donc une nécessité permanente, en élaborant des normes inclusives. Le monde change, les distances se transforment, les bâtisseurs passent, d’autres individus sont à présent là. De nouveau le territoire se pose à la fois comme un creuset de liens et de ressources et comme un enjeu de lutte.

 

Les Femmes Photographes donnent à voir l’actualité de ces luttes. Partout, on défend, on conquiert ou on résiste pour établir sa place et garantir son droit de cité. Elles aussi le revendiquent. Faut-il le rappeler : le domaine de la photographie doit s’ouvrir et renouveler ses modèles. Des femmes frappent fort à la porte des espaces de visibilité professionnelle, cette publication montre que certaines ont décidé d’unir leur force et d’y entrer sans plus attendre.

Laurent Nicolas

Publié.e.s dans ce numéro //

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