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Valérie Jouve : "La photographie est une construction mentale avant d'être une réalité&quot

Au cœur du rapprochement contemporain de la photographie et des sciences humaines, entrez dans la "fabrique de l’œuvre" de la photographe et vidéaste Valérie Jouve, grâce cette masterclasse enregistrée en public à la BNF, avec Manou Farine. À écouter sur France culture:

Valérie Jouve dans une exposition collective à laquelle elle participait, en 2015 au Jeu de Paume à Paris• Crédits : Annie Viannet- Maxppp

Dans la banlieue péri-urbaine de Saint-Etienne, à la toute fin des années 80, Valérie Jouve initie une œuvre de terrain, anthropologique et sociologique. Cette œuvre prendra par la suite une forme plus sensorielle, avec la photographie et la vidéo. Fascinée par la ville, Valérie Jouve fixe en images des figures urbaines, des corps qui habitent l’espace ou qui sont traversés par lui. Elle procède par "corpus" thématique de séries photographiques, menées parfois sur plusieurs années, avec un regard sensible et contemplatif. La question du traitement de l’espace est au cœur du cliché : il s’agit de comprendre comment la figure confère une présence à ce qui l’entoure.


Tôt, elle s’intéresse aux « groupes humains » sans, dit-elle, penser aux images. Elle étudie alors la sociologie :

Jeune, le rapport à l’image n’était pas du tout présent. Je n’étais pas dans une famille qui m’emmenait voir des images. Par contre, enfant, j’aimais observer les gens dans leur comportement. (…) Je contemplais beaucoup, j’observais. Quand je suis entrée à l’université pour faire des études de sociologie, je dirais presque que c’était par défaut, défaut d’une envie de participer à ce monde. Il y avait quelque chose dans ce monde qui ne m’allait pas.


Un jour, Valérie Jouve voit Les Maîtres fous de Jean Rouch. Le documentaire est pour elle une révélation :

Je suis ressortie du cinéma avec une certitude : ce vivant-là était bien capté et analysait beaucoup de choses, mais sans distanciation, sans analyse qui serait figée par les mots. Tout à coup on était projeté dans un monde, on pouvait le sentir, éprouver une certaine familiarité, (…) en sortant, il y a quelque chose qui vous prend aux tripes. Cette puissance-là de l’image a été un coup de foudre.


Après avoir suivi une formation à l’école photographique d’Arles, Valérie Jouve trouve son sujet. Elle veut montrer "la justesse des personnages par rapport aux corps des bâtiments". Elle fixe ainsi l'image de passants de face ou en contre-plongé, se découpant sur des paysages de façades, à Paris, Marseille ou New York, pendant des embouteillages, à la sortie du bureau ou lors des pauses-cigarettes sur le trottoir. On l'identifie alors à ces photographies "objectives" peut-être un peu trop vite :

Quand on fait une première ou deuxième exposition, et qu'on se voit titrer en première page du Monde "La nouvelle photographie objective", il y a une espèce d'inconscience des médias à poser quelqu'un qui n'est pas du tout prêt à être à cette place-là. Je n'étais rien de tout cela. (...) J'ai dû me détacher de ces séries de personnages.


En utilisant le montage dans sa pratique de la photographie (par superposition des photographies entre elles ou avec des peintures, en changeant les formats, au moment de prendre la photo, ou lors du montage et de l'accrochage), Valérie Jouve considère que "l'image peut avoir une interaction avec le spectateur très physique, faire sentir".

L'image a un sens pour elle-même mais elle vit au moment où elle se met en lien avec d'autres images. (...) Entre deux images, il y a une troisième image et cette chose-là m'intéresse beaucoup dans le monde des images, pour paraphraser Godard...

Elle s'exprime aussi sur l'espace et le rôle possible de la photographie dans un "monde d'images" :

Déjouer la photographie, c'est peut-être aussi donner des outils à l'autre pour voir à quel point la photographie est une construction mentale avant d'être une réalité, je ne veux pas dire vérité, parce qu'on fait souvent la confusion... Des images sont vues comme des vérités et c'est bien là le problème. Une photographie c'est quelqu'un qui voit.


À écouter sur France culture:

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